« Né grâce au sperme d’un donneur, je ne pouvais être en paix tant que je ne l’avais retrouvé. »


Ayant très tôt appris que son père n’était pas son père mais un donneur de sperme anonyme, Arthur est hanté par la quête de ses origines. L’histoire de son combat pour la levée de l’anonymat des donneurs et la recherche de son géniteur se déroule en deux temps et deux livres, publiés à dix années d’intervalle.
Acte I
En 2008 paraît un premier ouvrage, à la frontière entre l’essai et l’autobiographie. Âgé de 25 ans, Arthur Kermalvezen dénonce avec force l’impact dévastateur de sa conception sur sa santé mentale et psychique : « j’ai vraiment failli tomber dans la folie. » Il lève le voile sur un secret de famille longtemps bien gardé : l’homme qui l’a élevé et qu’il considère comme son père s’étant révélé stérile a décidé, d’un commun accord avec sa mère, de recourir par trois fois à un donneur de sperme (différent pour chaque enfant). Adepte de la pédopsychiatre Françoise Dolto, le couple a joué la transparence avec Arthur et ses deux sœurs, leur révélant -« trop tôt » au goût du premier- les coulisses de leur conception.
Bien qu’élevé dans un foyer stable et aimant issu de milieux privilégiés, le jeune garçon ne cesse de se heurter à l’énigme de ses origines : « l’IAD (insémination artificielle avec donneur1), s’insurge-t-il, a constitué pour moi un écran constant dans mon développement. » La loi interdisant alors de lever l’anonymat de ceux qui font cadeau de leur sperme à d’autres, il attribue à cette ellipse ses difficultés scolaires, sa méfiance envers les adultes et toute figure d’autorité, sa difficulté à se situer dans le temps et l’espace, son errance identitaire : « Mes questions m’empoisonnaient l’existence. »
Dans toute homme (professeurs, passants…), il voit son père potentiel, au point de développer « une paranoïa chronique incessante » qui lui fait craindre que ses petites amies soient en réalité ses demi-sœurs ! Las ! Sa fréquentation assidue de psys ne lui rend pas cette interrogation moins « intolérable ».
Après avoir abusé du cannabis dans l’espoir d’apaiser ses angoisses, Arthur opte pour un dérivatif plus fructueux : l’action. Sans remettre en cause le principe de la PMA (Procréation Médicalement Assistée2), il s’engage corps et âme dans le combat pour la levée de l’anonymat, égratignant au passage les dérives prométhéennes de la science médicale. En parallèle, il se démène pour retrouver l’auteur de ses jours. En vain, mais sans rendre les armes.
Acte II
Dix ans après, la quête d’Arthur est toujours au point mort. Il a beau s’époumoner dans les médias, alerter les pouvoirs publics, se mobiliser sans répit, la loi n’a pas varié d’un iota. En revanche, cette mobilisation sans faille lui a permis de rencontrer sa femme, Audrey, née comme lui de donneur inconnu et de devenir père à son tour -non sans s’être assuré auparavant par tous les moyens possibles de ne pas avoir de sang commun avec sa bien-aimée…
Alors le couple entreprend de passer à la vitesse supérieure : enfreignant la loi, ils recourent tous deux via une plateforme américaine à un test ADN. Coup de théâtre : en quelques mois, au terme d’une enquête digne d’un roman policier, Arthur parvient ainsi, à 34 ans, à retrouver la trace de son géniteur, un certain Gérard. Le lecteur suit pas à pas, avec une émotion trouble -car non exempte de voyeurisme- les retrouvailles de ces deux hommes que tout oppose (milieu social, convictions politiques et religieuses…)
Après avoir vécu sans le savoir à 100 kilomètres l’un de l’autre, père et fils s’apprivoisent, se découvrent, tissent un lien d’amitié, sans toujours parvenir à rester chacun à sa juste place. À l’affût de toutes les similitudes possibles avec ce père biologique, Arthur, premier Français à avoir retrouvé son donneur, a l’impression de vivre une « deuxième naissance », « une lente réappropriation de lui-même ». Quant à Gérard, il « s’attache à ce jeune homme débarqué dans sa vie. »
Pour autant, l’heureuse issue de cette quête quasi obsessionnelle ne sonne pas le glas du combat du couple : fondateurs de l’association Origines, Arthur et Audrey ne sont pas étrangers à la révision de la loi de bioéthique de 2021, qui permet désormais aux enfants nés par insémination artificielle avec tiers d'accéder sous certaines conditions à l'identité du donneur à leur majorité.
Deux livres éclairants et incontournables pour comprendre une partie des enjeux identitaires, psychologiques et biologiques de la Procréation médicalement assistée. En faisant dire en 1532 à son désormais fameux Gargantua « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », Rabelais ignorait combien l’avenir lui donnerait raison…
Né de spermatozoïde inconnu, Arthur Kermalvezen, Eds Presse de la Renaissance, 2008, 240 p. Existe en poche à 4, 03 €
Suivi de Le fils : l'incroyable enquête d'un homme pour retrouver celui à qui il doit la vie, Eds l'Iconoclaste, 2019. En poche à 6,84 €
1 Insémination Artificielle avec Donneur. Quand l’homme n’est pas fécond, le couple peut recourir au sperme d’un donneur anonyme (issu d’une banque de sperme agréée). Au moment favorable du cycle, le sperme est introduit dans l’utérus de la femme à l’aide d’un petit cathéter. La fécondation a lieu naturellement dans le corps.
2 La PMA ou AMP (Assistance Médicale à la Procréation) désigne les techniques médicales destinées à aider à concevoir un enfant en cas d’infertilité médicale ou pour les femmes célibataires ou homosexuelles. Soit : l’insémination artificielle, la fécondation in vitro (FIV), la congélation d’ovocytes ou de sperme, le don de gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes)…