« Cette petite fille morte in utero fait pleinement partie de notre famille »

Raphaëlle Coquebert
Raphaëlle Coquebert
« Cette petite fille morte in utero fait pleinement partie de notre famille »

Delphine, 49 ans, assistante de direction dans une école de Sartrouville (Yvelines), a connu la tristesse du deuil in utero en perdant son cinquième enfant à plus de 4 mois de grossesse. Elle se livre sans fard sur cet épisode que notre société peine à accompagner avec justesse.

Alors que votre grossesse suivait normalement son cours, tout a basculé en 48 heures. Que s’est-il passé ?

Notre enfant devait naître par césarienne autour du 13 juin 2009. J’ai été prise de fortes fièvres autour du 29 janvier. Par malchance, mon mari qui s’absente peu d’ordinaire pour son travail était en déplacement. Mes parents ont pris le relais. Complètement KO, j’ai été trouver mon généraliste qui m’a intimé de me rendre illico aux urgences. Les pompiers m’y ont emmenée. Après une heure d’attente sur un brancard où je gelais, avec comme compagnons d’infortune des sans-abris éméchés, j’ai été prise en charge par une sage-femme qui m’a annoncé que j’allais entrer en salle d’accouchement.

J’ai compris que c’était la fin. Quelques jours auparavant, je sentais mon bébé bouger. Là, plus rien.

Sa vie s’était arrêtée. 

Vous avez su pourquoi ?

J’ai attrapé un streptocoque qui a infecté le bébé : il était trop faible pour se battre, la bactérie l’a tué. Sur le moment, ma seule préoccupation était de savoir ce qu’on allait faire de lui. Je ne m’étais jamais posé cette question : « Où vont les enfants non nés ? » Dans la douleur de l’accouchement, j’ai été prise de vertige : et s’il finissait dans une poubelle ? Notre bébé, notre tout petit ! J’ai balbutié que j’avais besoin de savoir si c’était un garçon ou une fille, besoin de le voir, de décider de la suite.

Avez-vous été entendu ?

Oui, l’équipe médicale a été très bien… hormis une grosse méprise au début, qui me paraît révélatrice du flottement qui entoure le statut de l’enfant à naître. J’ai été mise dans le service d’orthogénie, aux côtés des femmes qui subissent une IVG. Quand le médecin est venu me voir en post-opératoire sans avoir consulté mon dossier, il a cru que c’était un avortement. Vous imaginez ? Vous venez de perdre un enfant dont la venue vous réjouissait et on vous parle de lui comme d’un être non désiré !

Bien entendu, j’aurais préféré être « en mater » comme on dit, mais ce peut aussi être douloureux d’entendre des bébés pleurer quand le vôtre vient de mourir… Il faudrait un service dédié pour ces enfants que la vie quitte trop tôt. Seulement il y a une ambivalence autour de ces bébés à naître. Regardez la triste affaire Palmade, cette maman enceinte de 6 mois qui perd son bébé après un accident de voiture causé par une célébrité sous l’emprise de stupéfiants1. On entend qu’elle a perdu un fœtus, mais quand on est enceinte et heureuse de l’être, on ne dit jamais « j’attends un fœtus » ! On attend un bébé, même si ce dernier n’a que quelques semaines…

C’est pourquoi vous avez souhaité que ce bébé s’inscrive à part entière dans l’histoire familiale ?

Absolument. Par chance, quand ça nous est arrivé, une loi venait de passer permettant l’inscription des enfants morts in utero dans le livret de famille à partir de 17 semaines d’aménorrhée2. Mon mari Thibaut, accouru à mon chevet, a donc pu effectuer cette démarche, si essentielle symboliquement : notre enfant a une identité sur le plan civil. C’était une petite fille, nous l’avons appelée Marie. Nous avons été autorisés à la voir, à la prendre en photo. L’idée d’organiser un enterrement s’est imposée. Nous avons été épaulés dans cette tâche par le Service catholique des Funérailles qui a fait montre d’une grande délicatesse. Mon beau-père a pu dénicher une place dans un caveau de famille parisien. 

Dans quel état d’esprit étiez-vous alors ?

C’est assez vertigineux je dois dire. Quelques jours avant, nous nous projetions avec une famille de 5 enfants à l’été et voilà que nous avions une semaine pour opérer un virage à 180 degrés et préparer un enterrement. J’étais dans une profonde tristesse, mais portée par la prière et l’amitié de nos familles et de nos proches. Nous les avons conviés très simplement à l’enterrement.

À quoi ressemblait cet enterrement ?

C’était très émouvant. Catholiques pratiquants, il était naturel pour nous de faire célébrer une messe pour l’occasion. Mais je n’avais pas imaginé que cet enterrement serait aussi en quelque sorte le baptême de notre fille. Etant donné qu’elle était mort-née, nous n’avions pu la faire baptiser. Mais nous le souhaitions, évidemment -on parle de « baptême de désir ». Aussi la messe a-t-elle commencé comme pour un baptême dans le narthex3 -le sas qui précède souvent l’entrée dans la nef de l’Église-, avec la question rituelle

« Quel prénom avez-vous choisi pour votre enfant ? »

Comment la fratrie a-t-elle vécu tous ces évènements ?

Ils étaient encore petits, l’aînée avait 9 ans. De la clinique, je leur avais écrit une lettre pour tout leur expliquer et les assurer de mon amour pour chacun d’eux. À ces âges, on vit dans l’instant présent… Ils nous ont vu tristes, mais dans la paix et unis. Il me semble que ça a rejailli sur eux.

Delphine et Thibaut

N’y a-t-il pas eu justement un décalage avec votre mari dans l’appréhension de ce deuil ?

Non, j’ai eu beaucoup de chance. Thibaut m’a déchargée intégralement de toute la partie administrative (déclaration à la mairie, pompes funèbres) et nous étions sur la même longueur d’onde quant aux démarches à entreprendre ou au regard porté sur la vie et la mort de notre fille. Nous n’avions de révolte ni l’un ni l’autre. Certes, pour la mère, c’est quelque chose qui se vit très intimement, en sa chair même, et c’est dur de ressentir les douleurs post-accouchements sans avoir de bébé dans les bras pour les relativiser… Sur le moment, réconfortés par la délicatesse et l’amitié de nos proches, nous avons laissé la vie reprendre son cours. Mais je savais qu’à la date prévue de l’accouchement, ce serait éprouvant pour moi et qu’il me fallait vivre mon deuil jusqu’au bout. Là encore, mon mari l’a compris et m’a permis de faire ce travail.

Quel travail ?

J’ai vu qu’à la date prévue de ma césarienne avait lieu le pèlerinage des mères de Cotignac, qui rassemble en Provence des femmes venues de toute la France. Souvent pour des problématiques autour de la grossesse – beaucoup de couples en attente d’enfant ont été exaucés là-bas4. Cette coïncidence était pour moi un vrai cadeau ! C’est là que j’avais envie de déposer Marie aux pieds de la sainte Famille5.

Ce pèlerinage dure 48 heures, mais Thibaut a accepté de gérer les enfants trois jours de plus pour que je puisse rester au sanctuaire seule, me poser, me reposer. Il faisait beau, il y a une piscine, j’ai pris soin de moi, j’ai beaucoup prié. Une messe est proposée quotidiennement. C’était intense, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, et ainsi ai-je pu aller comme au bout de ces 9 mois de grossesse : mon chemin de deuil, d’acceptation était accompli. Ça a été salutaire.

La famille de Marie

Quelle place a cette petite Marie dans votre famille aujourd’hui ?

Les premières années, nous allions tous ensemble fleurir sa tombe une fois par an. Ce n’était pas de la complaisance dans la tristesse, c’était un moment joyeux : nous allions déjeuner au bistrot avec les enfants. Nous continuons à nous y rendre de temps à autre individuellement. Nous ne lui avons pas élevé un mausolée mais nous l’invoquons à chaque prière familiale, au même titre que mon père par exemple. Il n’y a pas le monde des vivants et le monde des morts, ça forme un tout, uni par l’amour.

Je mesure la chance que nous avons eue de pouvoir accomplir des rites qui facilitent le deuil. Au pèlerinage de Cotignac, j’ai échangé avec des mamans ayant vécu une épreuve similaire ; épreuve qui pesait encore lourd sur leurs épaules parce qu’elles ignoraient l’existence de tous ces rites. La société progresse à cet égard, mais il reste du chemin à faire.

Où est votre fille pour vous aujourd’hui ?

Elle m’attend au Paradis, j’imagine qu’elle m’y accueillera ! C’est peut-être parce que l’Église et ma famille se sont montrées si consolantes sur ce point que je n’ai pas eu besoin de voir de psychologue, sinon une fois à l’hôpital. Nous avions bien connu un évêque qui m’a appelée après la mort de Marie pour me dire « Vous avez communié enceinte et votre enfant a goûté au corps du Christ ». Quelle parole bienfaisante ! J’ai aussi été très touchée par une lettre de Charles de Foucauld à sa sœur ayant perdu un bébé quelques heures après sa naissance  : « Lui, ce cher petit ange, protecteur de ta famille, a, d’un coup d’aile, volé vers la patrie et il jouit pour l’éternité de la vue de Dieu, de Jésus, de la Sainte Vierge, de Saint Joseph et du bonheur infini des élus. (…) Tes autres enfants pourront compter ainsi que toi, sur un protecteur bien tendre. Avoir un saint dans sa famille, quelle force ! » Ces mots si beaux m’ont portée.

NB : Si comme Delphine, vous pleurez un enfant mort en cours de grossesse, n'hésitez pas à prendre rendez-vous au sein de l'Accueil Louis et Zélie le plus proche de chez vous. S’il n'y en a pas, contactez-nous pour que l’on trouve ensemble une solution. Nous sommes à votre écoute.

 

1 L'humoriste est aujourd'hui poursuivi pour « blessures involontaires ». L'avocat des victimes de l'accident s’en est offusqué : « Juridiquement, pour qu'il y ait un homicide, il faut qu'il y ait un être vivant qui est mort. Et là, on avait un fœtus qui allait naître, vivant et viable, et qui n'a pas pu à cause de l'accident ». Mais, selon la jurisprudence, un enfant qui n'est pas né n'est pas considéré comme une personne légale.

2 Aménorrhée : absence de règles chez la femme non ménopausée, dont la grossesse est souvent la cause. Le médecin calcule la date d'accouchement en fonction des semaines d’aménorrhée (le premier jour des dernières règles, soit deux semaines environ avant la fécondation).

3 La liturgie a conservé le sens du narthex qui servait autrefois à l’accueil des catéchumènes (ceux qui se préparent au baptême) : certains prêtres commencent donc ici la cérémonie du baptême.

4 Voir le site Aleteia : https://fr.aleteia.org/2021/11/06/elle-prie-pour-avoir-un-enfant-et-ils-donnent-naissance-a-des-jumeaux et https://fr.aleteia.org/2021/07/30/meurtris-par-quatre-fausses-couches-ils-accueillent-leur-bebe-miracle-apres-un-pelerinage-a-cotignac 

5 Sainte Famille : nom donné à la famille formée par Jésus de Nazareth et ses parents, Marie et Joseph.

Partager sur

Ça pourrait vous intéresser.

Deuil anténatal

Pierre « Notre bébé polyhandicapé n’a pas survécu mais notre cœur est en paix »

Pierre raconte l’incertitude et les émotions tumultueuses vécues lors de la grossesse de son septième enfant, qui s'est révélé porteur de lourds handicaps. Entre l'angoisse de l’avenir et la conviction que la vie est sacrée, sa famille a dû faire face à des choix déchirants.

Lire l'article
Deuil anténatal

Charlotte « J’ai été si bien accompagnée que mon deuil a été serein »

Charlotte partage son expérience déchirante de la perte de son bébé Gabriel due à un décollement placentaire. Elle évoque son cheminement de deuil, l'importance des rites de deuil et le soutien d'une professionnelle. Un témoignage d'espoir et de résilience qui rappelle que, même dans la douleur, la vie peut reprendre ses droits.

Lire l'article
En cliquant sur "Accepter tous les cookies", vous acceptez que des cookies soient stockés sur votre appareil afin d'améliorer la navigation sur le site, d'analyser l'utilisation du site et de contribuer à nos efforts de marketing. Consultez notre politique de confidentialité pour plus d'informations.