Mettre en mots la perte d’un enfant à naître est capital pour le travail de deuil


Fausse couche, deuil in utero, IVG… Sous l’expression consacrée de deuil périnatal se cachent des réalités diverses et très différentes. Un point commun cependant : la souffrance d’une grossesse inaboutie qui nécessite d’être accompagnée, si l’on en croit Céline Durand, psychologue clinicienne familière de ces questions.

Psychologue depuis 20 ans, vous vous êtes spécialisée dans l’accompagnement du deuil périnatal. Pourquoi ?
Avant d’ouvrir mon cabinet à Fontainebleau (Seine-et-Marne), j’ai travaillé dans diverses institutions sensibles aux problématiques de la famille : Couple et Famille, la maison Magdalena dédiée à la réinsertion des prostitué(e)s, une Maison de la Famille (espace de rencontre parents-enfants), l’EPE (École des parents et des Éducateurs)…
Tout ce qui touche à l’accompagnement de la femme (sa féminité, sa maternité -effective ou contrariée) m’a particulièrement intéressée. Ayant moi-même été touchée par le deuil périnatal, j’ai pu expérimenter le déficit de formation du corps médical dans l’accompagnement des mamans dont la grossesse ne va pas à terme.
À ce moment-là, j’ai fait des démarches pour comprendre et relire ce que j’avais vécu et pour appréhender cette souffrance autrement, la nommer, lui donner sens. J’ai lu beaucoup d’ouvrages, recherché ce qui existait. C’est ainsi que j’ai découvert l’association Agapa, qui a grandement contribué, avec l’aide de soignants, à faire évoluer la conception et la prise en charge de ces deuils complexes. Je me suis formée avec eux.
Heureusement, depuis une dizaine d’années, la société évolue : des avancées importantes se sont fait jour dans la reconnaissance et l’accompagnement de ces grossesses non advenues.
À quoi le voyez-vous ?
La parole se libère, des mamans témoignent, des livres sont publiés (voir ici ), des groupes de parole « parents endeuillés » se créent, des professionnels de santé se forment… Des formations sont même proposées aux services des ressources humaines de certaines entreprises pour accompagner le retour au travail des femmes (voire des hommes) ayant vécu un deuil périnatal.
J’ai touché du doigt cette réalité quand l’École des Parents et Éducateurs (EPE) de Seine-et-Marne m’a sollicitée pour intervenir après la projection de l’émouvant documentaire Et je choisis de vivre (2019). Dans la foulée, des institutions comme la CAF (Caisse d’Allocations Familiales) du département ont mis en place des groupes de paroles pour parents : j’en ai supervisé certains.
Cet exemple est révélateur : l’arrêt de grossesse est de plus en plus considéré comme un psychotraumatisme dont les répercussions peuvent être graves. Les langues se sont déliées, et c’est heureux.
La souffrance est davantage reconnue et prise en charge.

En quoi consiste l’accompagnement de ces deuils ?
Le deuil comporte deux grandes étapes : il y a le processus de deuil, qui est universel et concerne tout le monde. Et le travail de deuil, propre à chacun en fonction de son parcours de vie.
Le processus de deuil est une forme de cicatrisation psychique que le corps engage naturellement. De même qu’une plaie se cicatrise sur le plan physiologique, l’appareil psychique met en place un processus de cicatrisation. Il comporte 4 phases, qui sont les mêmes pour tous :
- La sidération, le choc subi à l’annonce de la mort fœtale.
- La phase de déni : la réalité ne pouvant être appréhendée, pour survivre, une mise à distance s’opère, comme pour se dissocier.
- La déstructuration ou prise de conscience de l’absence, de la mort, qui peut être très douloureuse et engendrer une dépression.
- La phase de reconstruction : qui permet d’intégrer la perte et le manque et de considérer sa blessure.
Quid du travail de deuil à accomplir ensuite ?
Ce travail diverge selon chacun et suppose que l’on accepte d’être aidé. Dans un deuil, quel qu’il soit, la personne est confrontée à sa solitude : nul ne peut la rejoindre complètement au cœur de sa souffrance ; elle devra la rencontrer seule… Il lui sera cependant précieux de se faire accompagner, de pouvoir exprimer ce qu’elle vit et ressent, afin que cet événement figé dans la mémoire traumatique s’inscrive dans sa propre histoire.
Dans ce travail de deuil, on imagine que la femme et l’homme ne vivent pas les mêmes choses ?
Souvent, dans un premier temps, le deuil engendre un éloignement dans le couple. Il ne faut pas s’en inquiéter : avant de se retrouver, il est bon que chacun avance sur son chemin propre. Ensuite seulement, le travail de deuil en couple peut s’opérer.
On parle trop peu à mon sens de la « déflagration hormonale » que subit le corps de la femme. Ce corps étant tourné vers la vie, il sécrète massivement des hormones durant la grossesse. Quand cette dernière s’interrompt, s’ensuit une chute massive de ces hormones qui peut engendrer un chaos physiologique. La souffrance de la mère est donc à la fois psychique et corporelle.
Chez l’homme, la peine s’exprime davantage dans un débordement d’actions : il se noie dans le travail, le sport, le bricolage et ne formule pas les émotions qui le traversent… Ce qui vient s’entrechoquer avec sa compagne ou son épouse, qui a besoin, elle, de penser ce qui a été vécu et aspire au repos, au silence, à l’immobilité.
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Qu’est-ce qui peut aider les parents à surmonter leur tristesse ?
D’abord d’avoir un lieu pour mettre en mots leur histoire et l’inscrire dans la réalité. Faire son deuil, c’est d’abord faire exister sa souffrance. Se dire, se raconter permet de la regarder en face, l’analyser, la comprendre, l’intégrer.
Par ailleurs, les groupes de parole étant souvent des lieux sans filtre où règne l’authenticité, les parents vont se rejoindre dans leurs souffrances. Très vite, des connexions se font, les couples s’enveloppent les uns les autres.
D’une manière générale, partager ce qu’on traverse avec d’autres, ami(e), voisin(e), thérapeute est essentiel : le partage, la rencontre, c’est un baume d’humanité sur la blessure.
La mise en place de rituels va également avoir beaucoup d’importance.
Quels rituels ?
Tous ceux qui permettent de faire exister l’enfant dans la réalité : lui donner un prénom, l’inscrire sur le livret de famille1, organiser des obsèques, lui réserver une place dans un coin de la maison avec une photo, un objet, une bougie… Cet enfant a existé, même si sa petite vie a été courte : il est important de le reconnaître, de garder une trace, de l’inscrire dans la fratrie, si fratrie il y a. Important aussi de permettre aux parents qui le désirent de lui donner une place.
Que voulez-vous dire ?
Quand on leur demande combien d’enfants ils ont, libres à eux de répondre « J’ai -nous avons- X enfant(s) et un(e) au ciel » -les non-croyants trouveront leur propre formulation… S’ils ont envie de le dire, laissons-leur la possibilité de le faire sans porter l’émotion ou la gêne que ça peut faire naître chez l’interlocuteur -elle lui appartient. Il convient d’être en accord avec soi à ce moment-là : souvent, si c’est clair pour soi, ça l’est pour l’autre.
J’aime la phrase de l’écrivaine Françoise Chandernagor, dans La chambre (2002) : « Toute vie achevée est une vie accomplie ; de même qu'une goutte d'eau contient déjà l'océan, les vies minuscules avec leurs débuts si brefs, leur infime zénith, leur fin rapide, n'ont pas moins de sens que les longs parcours. Il faut seulement se pencher un peu pour les voir et les agrandir pour les raconter. »
Quelle différence y a-t-il entre l’accompagnement d’un deuil in utero, précoce ou plus tardif et d’une IVG ?
Ce n’est évidemment pas la même expérience, mais contrairement à ce qu’on peut imaginer, la culpabilité qui peut être présente en cas d’avortement l’est aussi dans la perte involontaire d’un enfant à naître. Vous savez, cette phrase qui s’affiche dans l’espace public « les enfants sont sous la responsabilité de leurs parents » ? Elle imprègne tant nos mentalités qu’elle ressurgit, consciemment ou inconsciemment, chez la maman ou le couple en deuil d’un enfant : « Je n’ai pas été suffisamment responsable pour faire vivre mon enfant », « Je n’ai pu permettre la vie de cet enfant ».
Encore une fois, pendant une grossesse, le corps et le psychisme tout entier sont tournés vers la vie. Quand la mort s’invite, c’est violent. D’ailleurs aujourd’hui, on ne dit plus fausse couche, mais arrêt naturel de grossesse : parce qu’il n’y a rien de faux dans cette couche…
Pourriez-vous nous donner des clés pour accompagner un couple frappé par un deuil in utero ?
Il y a des phrases à éviter absolument, du type « la nature est bien faite, cet enfant ne devait pas vivre, vous en aurez d’autres. » Comment prétendre résumer en une phrase une histoire de plusieurs mois porteuse de tant d’émotions ? La mère comme le père n’ont pas besoin d’explication ou de solution, mais d’une écoute attentive -qui suppose que l’on soit capable de se taire. Ils attendent qu’on les rejoigne dans leur chagrin, qu’on leur tienne la main. Cependant, il est bien normal que l’entourage soit maladroit parfois : penser l’impensable, être ajusté à la situation de l’autre est difficile.
Une chose que vous voudriez ajouter ?
Oui, j’ai à cœur de rassurer les parents : qu’ils n’aient pas peur de traverser ce processus de deuil et s’accordent du temps pour cela. Le psychisme a sa propre temporalité. Le travail peut être lent et long, mais il est promesse de vie. Nous sommes faits pour la vie, l’amour, la joie. Cette épreuve est source de transformation : en touchant à quelque chose de très profond dans l’identité de la personne, elle lui permet de mesurer la préciosité de la vie et d’accéder à un rapport à soi et aux autres plus vrai, plus authentique. La paix peut revenir et cohabiter avec la blessure. Au bout du chemin, il y a une lumière.
NB : Si vous êtes éprouvé(e) par un deuil périnatal quel qu’il soit, n'hésitez pas à prendre rendez-vous au sein de l'Accueil Louis et Zélie le plus proche de chez vous. S’il n'y en a pas, contactez-nous pour que l’on trouve ensemble une solution. Nous sommes à votre écoute.
1 À partir de 15 semaines d’aménorrhée, lorsqu’un certificat d’accouchement est délivré, un acte d’enfant sans vie peut être établi, ce qui rend l’inscription dans le livret de famille possible. Les droits sociaux (congés maternité ou paternité, congé deuil CAF etc) n’entrent en vigueur qu’à partir de 22 semaines d’aménorrhée (soit environ 5 mois de grossesse).
Aménorrhée : absence de règles chez la femme non ménopausée, dont la grossesse est souvent la cause. Le médecin calcule la date d'accouchement en fonction des semaines d’aménorrhée (le premier jour des dernières règles, soit deux semaines environ avant la fécondation).
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